Angelos Dalachanis – Sur invitation du Centre de Recherche Français à Jérusalem, j’ai effectué un séjour de recherche de deux semaines (14-26 avril 2013). Cette venue faisait suite à la proposition de Vincent Lemire de participer au projet OPEN-JERUSALEM qu’il pilote, avec pour projet d’étudier la présence grecque contemporaine dans la ville de Jérusalem, un champ de recherche à peine cartographié jusqu’à présent. L’objectif de la mission a ainsi été de mener un premier travail de terrain pour repérer les archives grecques de la ville. Ce repérage devait permettre de savoir s’il était possible de mener une recherche approfondie sur ladite communauté entre les années 1840 et 1940, années qui correspondent à la dernière période ottomane et à la période du mandat britannique traitées par le projet OPEN-JERUSALEM.
Ce n’était pas la première fois que je m’affrontais à l’Histoire de la présence grecque en Méditerranée orientale. J’avais, en effet, consacré ma thèse de doctorat à la présence grecque en Égypte, interrogeant plus particulièrement les causes du départ définitif des Grecs d’Égypte entre les années 1930 et les années 1960. En élargissant le champ de recherche durant mes années postdoctorales, j’ai commencé à traiter la question de coexistence entre différentes communautés allogènes dans les villes égyptiennes du canal de Suez à l’époque contemporaine, durant laquelle – et avant l’indépendance de 1922 – le territoire égyptien a d’abord eu le statut de province autonome au sein de l’Empire ottoman, avant de connaître l’occupation britannique.
L’intérêt que je portais déjà au phénomène urbain n’a fait que s’accentuer après ma rencontre avec Vincent Lemire. Notre projet de collaboration dans le cadre du programme OPEN JERUSALEM ouvrait pour moi des perspectives nouvelles et passionnantes, notamment celle de l’élaboration d’une histoire comparée des sociétés urbaines plurielles ou « cosmopolites » des villes égyptiennes et de Jérusalem. Les points communs entre l’histoire égyptienne et palestinienne, comme la succession ou la superposition de cadres administratifs ottomans et britanniques, que j’avais observée en Égypte et retrouvée à Jérusalem, ainsi que la proximité géographique des deux territoires créaient, à mes yeux, des conditions favorables à cette démarche. Parmi ces points communs se trouvaient aussi ces populations grécophones de rite orthodoxe, à travers l’étude desquelles je compte contribuer au projet OPEN-JERUSALEM.
Aujourd’hui, dans ces deux lieux, la présence grecque, loin de son passé florissant, ne compte que quelques centaines d’habitants. Dans ces deux espaces, demeurent pourtant trois formes d’organisation institutionnelle des populations grecques : en premier lieu une organisation religieuse (les patriarcats grecs-orthodoxes de Jérusalem et d’Alexandrie), ensuite communautaire / séculaire (les Koinotites, qui constituent leur point de référence politique, culturel et social) et finalement étatique (les délégations consulaires de l’Etat grec). En partant de ces trois piliers institutionnels d’aujourd’hui et d’antan, j’ai réussi pendant mon séjour à Jérusalem à repérer des fonds d’archives toujours largement inexploités. J’ai aussi eu l’occasion d’obtenir avec Vincent une audience auprès du patriarche grec-orthodoxe Théophile III qui nous a accueillis pour discuter de ce projet et des archives grecques de la ville ; de rencontrer des Grecs qui s’identifient encore souvent comme Romios (grec-orthodoxe de l’Empire ottoman). Ce sont des personnes qui habitent Jérusalem depuis plusieurs générations et se partagent toujours entre l’Orient et l’Occident. Ces membres de la communauté grecque ont accepté de partager avec moi des archives privées et leurs mémoires de « l’âge d’or » de l’hellénisme dans la ville.
Les premiers résultats de cette mission autorisent l’optimisme quant aux possibilités d’une recherche approfondie sur le cas grec dans le cadre du projet OPEN-JERUSALEM. Pour mener à bien ce premier travail de terrain dans une ville qui m’était peu familière et pendant une période relativement brève, le soutien du CRFJ a été plus que précieux. Les compétences scientifiques et administratives de très haut niveau de son personnel ont rendu mon séjour aisé et fructueux. Les échanges avec les chercheurs du centre et ceux invités en même temps que moi, m’ont permis d’alimenter mes recherches et de les enrichir grâce à la réflexion menée au CRFJ autour du projet et plus particulièrement autour de la notion de « citadinité » (qui, comme le rappelle Vincent Lemire, s’inspirant des travaux de Robert Ilbert sur Alexandrie, est pour une ville ce qu’est la citoyenneté pour la nation : une forme de « citoyenneté urbaine »).